Le Nigeria est une nouvelle fois en proie aux violences dans le Nord. Du samedi 15 octobre au lendemain dans l’après-midi, des bergers foulanis ont gratuitement massacré des habitants d’une communauté majoritairement chrétienne dans le Sud de l’État de Kaduna. Plusieurs corps ont été carbonisés. Le nombre de victimes varie selon les sources, les corps étant dispersés.
Seulement une quarantaine de personnes avaient pu être identifiées le lundi parmi celles tuées dans la région de Godogodo par les bergers foulanis, une communauté peule. Outre les flammes, les assaillants ont eu recours à des machettes et des armes à feu. Parmi les victimes les plus cruellement assassinées, au moins une quinzaine de personnes l’ont été à l’arme blanche ou brûlées vives. En représailles, des jeunes ont attaqué un bus ainsi qu’une voiture transportant seize pasteurs foulanis et les ont tous tués à la machette avant de les brûler. Le bilan est vite monté à quarante-huit morts dans la communauté chrétienne et est provisoire.
Outre les habitants assassinés à Godogodo, des fermes, des maisons, seize églises et autres lieux de culte ont été vandalisés au cours de deux raids. Selon un responsable chrétien, le pasteur Akut, les bergers ont détruit les fermes des chrétiens dans le but de les pousser à s’en aller et mourir de faim. Les cultures qui n’attendaient que la moisson ont été dévastées, et les chrétiens ne peuvent se rendre dans leurs fermes où ils risquent de se faire tuer. Les Foulanis ont anéanti la plupart des villages dans la zone de Godogodo, et un millier de personnes ont été déplacés. Les 24 et 26 septembre, les Foulanis avaient tué huit personnes et blessé huit autres à Godogodo. En juillet 2012, une cinquantaine de chrétiens avaient été brûlés vivants par les bergers peuls, enfermés dans la maison de leur pasteur. Selon le rapport de Global Terrorism Index pour l’année 2014, les Foulanis ont assassiné 1 229 personnes.
Une conjonction de causes fondamentales et circonstancielles
Les tensions entre les bergers foulanis et les fermiers majoritairement chrétiens ne se résument pas toujours à la seule haine religieuse. Les violences des Peuls visent certes des chrétiens, mais si les motivations sont liées aux croyances, elles se greffent aussi en partie sur une frustration économique, cause circonstancielle des attaques. Ainsi, dans un autre État du Nigeria, celui du Plateau, Mgr Ignatius Ayau Kaigama, archevêque de Jos et président de la Conférence épiscopale du Nigeria, estimait après le meurtre des cinquante chrétiens par le feu il y a quatre ans que « les pasteurs foulanis se sentent victimes d’une injustice parce que leur bétail est tué ou volé et qu’ils ne sont pas dédommagés pour les pertes subies. Je pense que la colère dérivant de cette situation les pousse à attaquer de cette manière terrible. » Le trésorier de l’Association des éleveurs de bétail Miyatti Allah, Alhaji Husseini Sidi affirmait que les Foulanis ne sont pas considérés comme des gens du Plateau :
« Quand nous sommes attaqués, personne ne réagit. Mais quand les Biroms sont ciblés, ça barde ! Nous ne sommes pas heureux de ce qui s’est passé et je peux vous assurer que nous ne les avons pas attaqués. Si quelque chose se produit, c’est habituel pour le Gouvernement de nous accuser. Si les autorités veulent que la paix dure, elles doivent nous traiter équitablement. »
L’enquête avait démontré la culpabilité des Foulanis, mais les accusations d’injustice économique doivent être considérées, sans oublier que dans les deux ethnies se trouvaient des chrétiens et des musulmans. Les agriculteurs et les pasteurs sont toujours en conflit au sujet du besoin croissant de ces derniers d’accéder aux pâturages alors que les terres cultivées des premiers s’étendent. Les fermiers craignent que les bêtes des Peuls ne contaminent leurs points d’eau, ces derniers les accusent de ne pas leur laisser d’alternative.
Cette concurrence a également trouvé matière à se développer quant à la politique, avec la montée en puissance des chrétiens au niveau du pouvoir au début des années 2000, et l’élection d’Olusegun Obasanjo à la tête de l’État dans un pays partagé quasiment à égalité entre chrétiens et musulmans sur le plan démographique qui avait conduit les musulmans à imposer en réaction la charia dans douze États du Nord. Déjà au début du XIXe siècle, les Foulanis étaient djihadistes, et les conditions sociales (corruption des dirigeants, inégalités) constituaient une circonstance légitimant pour eux encore davantage la guerre islamique, mais la raison fondamentale, comme pour la contestation de l’autorité d’un chef d’État chrétien deux siècles plus tard, était religieuse.
En plus de ces chrétiens, les bergers foulanis s’en prennent aussi aux Biafrans, majoritairement chrétiens, qui réclament leur indépendance après avoir été annexés une seconde fois en 1970 à l’issue d’une guerre particulièrement éprouvante pour les civils. Ainsi, en mai dernier, des bergers peuls ont attaqué à l’AK-47 et à la machette un village biafran où les habitants cultivent paisiblement la papaye et l’igname, faisant une dizaine de morts. Ces derniers, surpris, ont d’abord cru à une plaisanterie.
Des violences contre les chrétiens dans un contexte d’attaques tous azimuts
Parallèlement à ces violences contre les chrétiens, les chiites sont attaqués par les sunnites dans le Kaduna, et quatorze d’entre eux ont été tués cette semaine. Dans plusieurs États du Nord, les chiites sont discriminés, même légalement. Par exemple, le gouverneur du Kaduna a interdit il y a deux semaines les activités religieuses du Nasir el-Rufaï, la principale organisation chiite. Les autorités fédérales et locales sont également confrontées aux velléités du Mouvement islamique du Nigeria qui souhaite obtenir un État islamique chiite par une révolution comme en Iran.
Le Nigeria se trouve donc face à de multiples violences religieuses, et la secte islamiste Boko Haram instrumentalise les tensions pour exacerber les violences des islamistes fulanis. Ces deux groupes font partie des cinq principaux mouvements terroristes dans le monde, selon le rapport 2015 de Global Terrorism index. Boko Haram qui a commencé la lutte djihadiste en 2009 a déjà fait 20 000 morts, son intention est d’ôter les éléments occidentaux du Nigeria, ce dont témoigne son nom d’usage signifiant que « l’éducation occidentale est un péché ». Son nom officiel était Jama`at ahl al-sunna li-da`wa wa-l-qital (« Peuple engagé dans la propagation de l’enseignement du Prophète et du jihad »), ce jusqu’au moment où il a prêté allégeance à l’État islamique en mars 2015 et s’est renommé « Province de l’Afrique de l’Ouest ». Si la secte, devenue mouvement insurrectionnel, entendait faire s’effondrer l’État nigérian, le groupe combat désormais pour faire du pays une province du Califat.
Versatile, Boko Haram a commencé à se détourner de l’État islamique au profit d’al-Qaïda ces derniers mois avant que le mouvement du Califat ne reprenne la main. Les choses sont redites, le groupe djihadiste a pour mission d’éliminer les chrétiens du Nigeria pour unifier le pays. Profiter des tensions entre communautés majoritairement chrétiennes et bergers foulanis fait partie de sa stratégie.
A Godogodo, la situation pourrait empirer. « Si le Gouvernement ne nous a pas abandonné, alors il devrait nous dire s’il est prêt, disposé et capable de nous défendre, ou s’il ne l’est pas. Il devrait nous le dire afin que nous sachions quelles mesures prendre », a déclaré l’Union du peuple du Sud du Kaduna.
Hans-Søren Dag